Même les laids peuvent être bons

J’ai toujours eu de la difficulté à manger ce que je trouve laid. Mais j’ai fait une exception.

Il est laid, mais son importance pour l’archipel où j’ai choisi de vivre m’a convaincue de m’y exposer graduellement pour l’apprécier.

J’ai d’abord assisté à la 150e mise à l’eau des cages. Le samedi 3 mai à 4 h 30 du matin, sous la lumière crue des lampadaires qui ne rend personne beau, j’étais sur le quai du port de l’Étang-du-Nord. Il n’y avait pas que des pêcheurs. Leurs femmes, leurs enfants et leurs amis s’étaient levés tôt, eux aussi, pour les voir installer les cages sur le bateau avant le coup d’envoi.

À 5 h du matin, une fusée éclairante a coloré le ciel et les bateaux ont quitté le port pour aller déposer dans la mer les cages remplies d’appâts. Les mains haut dans les airs, la parenté et les amis ont salué les pêcheurs. Leur regard a accompagné les bateaux jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans l’aurore. 

C’est le début de la pêche au homard.

La mise à l’eau des cages est un grand événement aux Îles. Dans les jours qui précèdent, on bénit les bateaux à l’église de Grande-Entrée et on cuisine des galettes traditionnelles qui seront offertes aux équipages le matin de la mise à l’eau. C’est une véritable tradition familiale et identitaire qui met le homard à l’honneur, le moteur économique des Îles-de-la-Madeleine.

Du début de mai à la mi-juillet, 325 homardiers partent en mer tous les jours, sauf le dimanche et les jours de tempête. Au large, les pêcheurs remontent les cages sur le bateau, en sortent les homards pour les mettre dans des bacs et leur enfilent un élastique autour des pinces. Oui, en plus d’être laid, le homard pince!

Mais, je l’avoue. La mise à l’eau des cages et l'effervescence qui l’entoure m’ont émue. Je me devais d’apprendre à aimer ce crustacé décapode dont l’apparence me rebute.

J’ai donc acheté de la chair de homard cuite à la poissonnerie. J’ai opté pour la facilité, car on ne doit jamais manger un homard mort avant la cuisson et je n’étais pas prête à voir la bête mourir ébouillantée sous mes yeux, aussi laide soit-elle!

La classique guédille était parfaite pour m’initier au homard. Je trouvais toutefois que des pains hot-dog n’étaient pas à la hauteur pour servir 246 grammes de chair de homard à 31,92 $. 

J’ai donc préparé une croûte au beurre et aux herbes digne de son statut.

Qui dit guédille dit mayonnaise, une sauce stratégique pour apprivoiser une chair dont je ne suis pas certaine du tout. J’ai concocté un mélange bien dosé de mayo, de zeste de citron, d’aneth, d’échalotes françaises et de cornichons qui a grandement enrichi mon expérience gustative sans masquer le goût délicat de la chair de homard.

C’est de cette façon que j’ai cuisiné pour la première fois le homard des Îles.

Le homard des Îles se distingue par sa chair fine et son goût légèrement sucré. Les fonds rocheux autour de l’archipel en feraient un des meilleurs au monde. Je n’arrive pas encore à détecter toutes les nuances de ses saveurs, mais, avec curiosité, je l’apprivoise et, à ma façon, je le rends beau et bon.

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